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Salus Populi Romani

 Salus Populi Romani   FRA-030
25 juillet 2024

La plus célèbre des icônes mariales que la tradition figurative romaine considère comme «non peintes par des mains humaines», et que la légende reconnaît comme étant d'origine divine, est le panneau de Sainte-Marie-Majeure, particulièrement cher à la piété populaire et étroitement lié à l’identité de la ville au point de mériter le nom de Salus Populi Romani: le salut du peuple de Rome.

La datation de l’icône, très controversée, fait encore l’objet de débats et constitue une source de confrontation pour les spécialistes. Les analyses et les résultats de la restauration conduite avec dévotion et professionnalisme par les musées du Vatican en 2018 ont été publiés en 2022 dans le livre Salus Populi Romani. La restauration de l'ancienne icône de la basilique papale de Sainte-Marie-Majeure, édité par Edizioni Musei Vaticani et écrit par l'auteur de cet article. En février 2023, un «Jeudi des musées» a été consacré à une analyse approfondie de ce sujet en présence du cardinal Stanisław Ryłko, archiprêtre de la basilique libérienne et promoteur de ces travaux de restauration.

Traditionnellement considérée comme originaire de Jérusalem, où elle aurait été peinte par saint Luc lui-même, pour ensuite apparaître à Rome à l’époque du Pape Sixte iii (432-440) et être offerte par lui à la basilique construite par le Pape Libère sur la colline de l'Esquilin (352-366), l'image montre en réalité des caractéristiques stylistiques chronologiquement plus récentes: si l'iconographie de la Mère à l’Enfant fusionne le type grec de l'odighitria avec celui de la glykophilousa, se référant au canon pré-iconoclaste de l'art primitif byzantin et orientant donc vers une datation «haute» de l'objet (viiie-ixe siècle), l'application différenciée des mélanges chromatiques, qui alterne la description calligraphique des vêtements et des accessoires avec la construction structurée des mains et des visages, rapproche la peinture d'œuvres similaires du Moyen Age romain, venant par conséquent se situer entre le xie et le xiiie siècle.

Initialement placée dans la nef principale de la basilique libérienne, l'image sacrée se trouve à son emplacement actuel depuis 1613, sur l'autel de la chapelle Borghèse de Sainte-Marie-Majeure, à l'intérieur d'un châssis en bronze et de cristal, portant une dédicace du Pape Paul v, Camillo Borghèse, qui fut Pape entre 1605 et 1621.

Le panneau nous montre l'image familière de la Mater Dei dignissima (Theotókos), vêtue d'un manteau bleu bordé d'or (le maphorion), ses bras avancés pour soutenir l'Enfant, croisés à la hauteur de la taille: dans sa main droite elle serre une mappa, un mouchoir brodé à usage cérémonial, originairement lié à la symbologie impériale; sa main gauche, portant un anneau, semble esquisser un geste, interprété par certains comme une allusion à une signification trinitaire. Le manteau qui dessine sa silhouette enveloppe entièrement ses épaules et sa tête, mais laisse entrevoir la tunique dont les manches dépassent et dont on reconnaît des portions à hauteur de la poitrine et des hanches. L'élégance suprême de l'image, accentuée par la fluidité des contours et l'apparente facilité de la pose, est augmentée par l'intensité du regard, partiellement voilé par la pénombre et tourné manifestement d’un côté. L'Enfant lui-même, vêtu d'un hymation, la main droite avancée dans un geste de bénédiction, tourne son regard vers la Mère, tandis que son expression adulte et le codex précieusement relié qu'il tient de la main gauche confèrent un caractère central et une importance à son rôle.

La Salus Populi Romani est peinte sur une toile en plâtre et posée sur un panneau de bois; le support est constitué de deux planches verticales accolées, probablement raccourcies à l'extrémité inférieure et peut-être aussi à l'extrémité supérieure; le cadre, ajouté à un moment ultérieur, constitue en revanche un élément en soi.

La délicate opération de restauration a comporté une étude préliminaire minutieuse et une série d'investigations réalisées au Cabinet de recherches scientifiques des musées du Vatican, où ont été effectuées des analyses spectrographiques, une fluorescence induite par uv, des infrarouges fausses couleurs, une réflectographie infrarouge et des radiographies. Sur la base des données obtenues, des approfondissements ultérieurs ont été effectués pour déterminer les pigments utilisés (analyses sfx et méthode Raman). D'autres enquêtes ont ensuite été menées sur le support en bois, pour connaître l'espèce utilisée et pour le dater au radiocarbone. L'étude morphologique indique que les planches centrales sont en tilleul, tandis que le cadre est en frêne. Par ailleurs, les résultats au radiocarbone indiquent une datation du bois située, avec une probabilité de plus de 80%, entre la fin du ixe et le début du xie siècle pour le panneau principal, et entre la fin du xe et la première moitié du xie siècle pour le cadre

En accord avec l'administration de la basilique, et avec une grande prudence et un sens de la responsabilité, compte tenu de la valeur dévotionnelle et artistique de l'image sacrée, la restauration a ensuite été effectuée au Laboratoire de restauration des peintures des musées du Vatican, et réalisée par Alessandra Zarelli, avec la collaboration de Massimo Alesi pour le support en bois, qui ont été coordonnés par Francesca Persegati, le tout supervisé par l'auteure, assistée par Guido Cornini, directeur du département des arts. La restauration a requis le nettoyage général de l'œuvre; sous les couches superposées de colle et de vernis oxydés, en effet, les conditions générales de l'icône semblaient relativement satisfaisantes: malgré les dommages considérables causés par l'application des pièces d'orfèvrerie, l’état de conservation de la couche picturale du panneau était décent, bien que parsemé de stucs et affecté par des retouches et, justement, des altérations des vernis. Il a donc été relativement facile, mais avec des résultats surprenants, de récupérer l'image originale. Sous les couches de vernis oxydé et les anciennes restaurations, le nettoyage a permis de récupérer les couleurs délicates des visages originaux, tout le manteau de la Vierge, le manteau merveilleusement doré de l'Enfant Jésus, le livre et d'autres zones qui étaient auparavant presque illisibles. Même dans la zone des auréoles, l'élimination du pigment rougeâtre qui avait été superposé a permis de retrouver des gravures et de l'or d’origine, et dans la zone de l'enfant, la mise à jour de l'ancienne tripartition: un résultat significatif qui a donné une nouvelle lumière et une nouvelle vision de l'image sacrée. Pour finir, le support en bois et le cadre, qui avaient été altérés au fil des années par d'anciennes restaurations et l’attaque de xylophages, ont également été restaurés.

Il y a eu de nombreux moments de concertation entre la Commission de l'administration de la basilique libérienne et celle des musées du Vatican pour la réalisation de cette restauration délicate et complexe, et dont les décisions ont été prises unanimement.

A l’occasion des travaux de restauration, un nouveau châssis a également été créé, identique à celui actuellement utilisé mais d'épaisseur réduite et équipé de poignées, afin d'être moins lourd et plus maniable pour les déplacements que l'icône devra affronter lors des célébrations annuelles et pour les contrôles périodiques de son état de conservation. Cette solution, spécialement conçue par le Bureau du conservateur des musées du Vatican, coordonné à l’époque par Vittoria Cimino et aujourd'hui par Marco Maggi, a également l'avantage de garantir les conditions thermo-hygrométriques du panneau, stabilisant le microclimat à l'intérieur du châssis.

Il répond aux exigences les plus élevées en matière de non-invasivité, de facilité de manipulation et de sécurité et est équipé d’une vitre spéciale présentant des qualités optiques et esthétiques élevées et une grande transparence, garantissant aux fidèles une vue optimale de l'image sacrée.

Le châssis, parfaitement étanche et capable de limiter les échanges d'air entre l'intérieur et l'extérieur, dispose également d'un système de climatisation passive qui, grâce à l'utilisation d'un matériau «tampon» spécial, est capable de stabiliser les fluctuations d’humidité relative et de respecter les paramètres recommandés par les normes pour la conservation des matériaux de l’œuvre, réduisant au minimum les profils de risque et l'activation de phénomènes de dégradation. La surveillance du microclimat, effectuée grâce à un capteur miniature équipé d'une microsonde en contact direct avec le dos de l'œuvre, permet aux techniciens du Bureau du conservateur des musées du Vatican de vérifier en permanence son état.

La Salus Populi Romani, à l’abri des sollicitations mécaniques et des vibrations, peut ainsi être déplacée en toute sécurité directement à l'intérieur du nouveau châssis d'exposition, pour toutes les occasions liturgiques et lors des contrôles d'entretien périodiques effectués sur l'œuvre.

Grâce à l’élan déterminé de l'archiprêtre coadjuteur, Mgr Rolandas Makrickas, ancien commissaire extraordinaire de la basilique, la niche qui abrite l'icône vénérée a récemment fait l'objet d'opérations de réaménagement, qui ont concerné à la fois l'installation d'un nouveau système d'ouverture mécanique des portes en marbre ainsi que l'élaboration et le réglage d'un nouveau système d'éclairage.

Les opérations, auxquelles ont participé la Direction des infrastructures et services du Gouvernorat et la Direction des musées du Vatican, ont permis de finaliser les activités d'automatisation des portes grâce à l'installation de deux bras mécaniques — spécialement fabriqués et certifiés — et l’amélioration de l'ancien système d'éclairage, avec la pose de nouveaux circuits électriques et de supports en aluminium pour les nouveaux luminaires.

En même temps, le Bureau du conservateur s’est occupé de la conception et du réglage du nouveau système d'éclairage à led, capable d’éviter les effets d'ombre gênants produits par l'ancien système, en garantissant une répartition uniforme de la lumière sur toute l'icône et parvenant à mettre en valeur des parties précises de l'œuvre.

Les sources utilisées, exemptes de composants ultraviolets et infrarouges nocifs, ont un spectre d'émission complet et uniforme, avec des caractéristiques permettant la restitution fidèle des couleurs de la Salus redécouvertes par la récente restauration.

Le nouvel éclairage, conçu en accord avec le cardinal archiprêtre, représente le juste compromis entre les exigences d’exposition et de mise en valeur et celles de la conservation, grâce à un calibrage minutieux de l'intensité lumineuse, donnant un nouvel élan chromatique à l'icône tout en mettant en valeur le teint du visage et des mains de la Vierge et de l'Enfant par des accents subtils.

A partir d'aujourd'hui, la célèbre image a donc un nouveau visage, restauré sous une nouvelle lumière et nettoyé de siècles de vernis et d’interventions diverses, et rendu encore plus accessible par ces nouveaux systèmes de con-servation. L'image montre son apparence hiératique, ferme mais douce, celle de la Mère de Dieu qui protège tout le peuple romain.

Les derniers travaux de restauration du panneau remontent à 1931 et à la volonté du cardinal Bonaventura Cerretti, alors archiprêtre de la basilique, et de Bartolomeo Nogara, directeur des galeries du Vatican. On sait que la restauration fut «exécutée dans les règles de l’art» par Giovani Rigobelli et qu’elle visait à redonner «couleur et vie» à l’œuvre. Il s’agissait principalement dans la suppression de la lourde plaque d'argent «qui couvrait presque toute la peinture, à l'exception des visages et du demi-buste», qui avait été ajoutée par Grégoire xvi en 1838 dans le but d’appliquer de nouvelles couronnes sur les deux visages. A cette occasion, il fut également décidé de laisser visibles «les deux couronnes en or de Grégoire xvi, le collier avec 3 améthystes, 4 topazes et 2 aigues-marines auquel fut ensuite également attachée la croix pectorale, tandis que l’étoile à 12 pointes, avec le remplacement des petits diamants manquants, fut appliquée sur l'épaule de la Vierge sur le panneau même». Tous ces matériaux ont été retirés en 1988 et sont exposés au musée du trésor de la basilique.

*Directrice des musées du Vatican

Barbara Jatta*