Parfois, il suffit d'un mot. Un simple mot, même un adverbe, comme, par exemple, cependant.
Le Pape, après son long voyage dans des terres jeunes et lointaines comme l'Indonésie et l'Océanie, vient d'accomplir un voyage très court et proche, au cœur du Vieux Continent, cependant ce voyage a été riche, dense en évènements, en rencontres, en discours remplis de vie et d'émotion. Surtout lors des évènements «non programmés», comme se rendre dans un bar de la ville ou dans une paroisse au moment du petit-déjeuner offert aux pauvres et aux étrangers, aller se recueillir sur la tombe du roi Baudouin ou participer, dans la soirée du samedi 28 septembre, à la veillée des six mille jeunes, qui avaient décidé de se rassembler autour du stade pour assister à la Messe le lendemain: la surprise et la joie des personnes présentes ont été immenses, irrépressibles, tout comme celles du Pape: les deux «interlocuteurs», le Souverain Pontife âgé et les six mille jeunes, se sont immédiatement accordés et contaminés dans un dialogue qui a duré quelques minutes, mais qui a été d'une grande intensité.
Le «cependant», malheureusement, peut également avoir un sens négatif: le voyage a été très riche et dense en idées et suggestions, cependant des observateurs, des journalistes et des opérateurs des médias ont donné des lectures simplifiées à un raisonnement complexe.
Bien que cela se soit passé ainsi, il est cependant préférable de voir le bon côté des choses et d'employer cet adverbe avec tout son potentiel positif, comme l'a fait le Pape dans ses discours en Belgique et comme il le fait depuis le début de son pontificat, lorsqu'il a commencé à rappeler que le nom du Dieu chrétien est miséricorde et que le Dieu de la Bible est le Dieu des surprises. Parce que «cependant» est l'adverbe de la surprise et de la miséricorde, l’attitude face à la vie et au monde selon laquelle «nous pouvons tous faire des erreurs» a dit le Pape dans son discours du samedi 28 septembre à la basilique du Sacré-Cœur, cependant «personne n’est une erreur». Le péché est une erreur, pas le pécheur: François n'invente rien mais utilise des mots forts, qui secouent surtout lorsqu'il souligne que la miséricorde de Dieu peut nous sembler injuste car «nous appliquons simplement la justice terrestre qui dit: “Celui qui fait des erreurs doit payer”. Cependant la justice de Dieu est supérieure». Ce «cependant» renferme toute la grandeur de la miséricorde sur laquelle se fonde la foi chrétienne car, il l'a rappelé dans l'homélie du dimanche 29: «A nous tous, il a été fait miséricorde» et «la communauté des croyants n’est pas un cercle de privilégiés, elle est une famille de sauvés». Dieu continue d'avoir confiance en nous, «voyant en nous ce que nous-mêmes ne parvenons pas à percevoir». Quelle force réside dans ce «cependant»! Ce petit mot autorise le passage de la logique consécutive, froide et mécanique, du jugement humain («celui qui fait des erreurs doit payer»), à la logique concédante «même si nous faisons des erreurs, personne n'est une erreur» (ce qui n'a rien à voir avec la fermeté nécessaire de poursuivre en justice les abuseurs et ceux qui les protègent, comme l'a bien expliqué le -Pape).
Cette logique, concédante, est «chaude», «humaine», et si nous y réfléchissons bien, elle est celle des histoires, de l'imagination, de la poésie. Un exemple typique est l'Odyssée: bien qu'Ulysse soit seul sur son radeau à lutter contre les vagues de la Méditerranée, il réussira cependant à retourner chez lui. Si la logique fut uniquement consécutive, la poésie n'existerait pas. Ni la piété, ni la miséricorde. Car il n'y aurait pas d'espérance. Pourtant, nous pouvons rester, plutôt chanter, sous la pluie, et chanter joyeusement, bien qu'il pleuve.
Ces paroles du Pape réactivent et développent notre imagination tarie, le fait de nous rappeler que la justice de Dieu, supérieure à la justice terrestre, est aujourd'hui plus que jamais un mot dont le monde occidental, replié sur lui-même et sur son ressentiment, a extrêmement besoin. Au contraire, si nous allumons la télévision, nous risquons de trouver un «sentimentalisme» facile et surtout beaucoup de ressentiment. Les films diffusés sur les chaînes tv traitent souvent du thème de la vengeance, le modèle de chaque trame est celui du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, et les protagonistes sont souvent des justiciers sans pitié. Tout comme de nombreux journalistes et médias font souvent de «celui qui fait une erreur doit payer» l'unique paradigme acceptable, et l'unique «valeur» autorisée à circuler est le moralisme justicialiste facile. Mais le justicialisme et les procès sommaires sont la dégénération idéologique, une imitation grotesque de la justice (terrestre).
Le chrétien, nous rappelle François, se déplace sur une autre longueur d'ondes. Celle de la miséricorde, cette «longueur» et «largeur» qui jaillit du cœur transpercé de Jésus qui pardonne celui qui est en train de le crucifier, qui face à la femme prise en flagrante «erreur» est passé outre, plus en hauteur, en ne la «clouant» pas au passé mais en lui ouvrant le futur, rappelant à cette femme qu'elle avait bien fait une erreur, mais que, cependant, elle n'était pas une erreur pour toujours.
Andrea Monda