L’éducation, associée à la libre circulation des personnes, «dans toute l’Afrique comme dans l’Union européenne» sont les clés «pour que les jeunes de l’Ethiopie, et tous les Africains, restent sur le continent» et n’aillent pas «d’abord au Soudan, puis en Libye pour mourir dans la mer Méditerranée», ou migrer vers les pays arabes du Golfe, «pour finir abusés ou maltraités».
C’est ce dont est convaincu le cardinal Berhaneyesus Demerew Souraphiel, archevêque d’Addis-Abeba, qui pour cela considère avec espoir le projet pilote en faveur de ces migrants «de retour» de ces réfugiés et des déplacés internes, du Global Solidarity Fund (gsf), qui implique cinq congrégations religieuses et l’archidiocèse de la capitale éthiopienne.
Le plus grand pays de la Corne d’Afrique, avec ses plus de 120 millions d’habitants, accueille plus de 400.000 réfugiés Sud-Soudanais, et depuis avril de cette année également environ 4.000 Soudanais, et 600.000 Somaliens, Erythréens, Yéménites et même Syriens, et a vu récemment revenir plus de 100.000 émigrés éthiopiens des pays arabes du Golfe.
Nous avons parlé de tout cela avec le cardinal de 74 ans, dans sa maison, derrière la cathédrale de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie, dans la capitale éthiopienne qui a accueilli au début du mois de mars, l’assemblée continentale africaine du Synode sur la synodalité dans l’Eglise.
Le cardinal Souraphiel est à la tête de l’archidiocèse depuis juillet 1999, et depuis cette année-là, également président de la Conférence épiscopale d’Ethiopie et d’Erythrée, unies jusqu’en 2015. Pasteur d’un petit troupeau d’environ 12.000 catholiques (moins de 2 % des 16 millions d’habitants de la province ecclésiastique d’Addis-Abeba), il nous rappelle que les plus de 200 participants à la réunion synodale ont mis l’accent sur la famille, qui «est l’image de l’Eglise en Afrique». Une famille qui «devrait être inclusive» et inclure les jeunes, les personnes âgées et surtout les jeunes femmes seules avec des enfants, la «famille monoparentale» la plus répandue dans la nouvelle Afrique.
Afin de renforcer la participation des femmes à la vie et au travail de l’Eglise, nous dit le cardinal éthiopien, l’assemblée synodale a réitéré la nécessité de mettre l’accent sur la formation et le soutien à la «famille élargie», typique de l’Afrique, qui comprend également les grands-parents, les oncles et les tantes. En Ethiopie, l’objectif est d’avoir 430 écoles gérées par le clergé diocésain et les congrégations religieuses, ainsi que la nouvelle université catholique Ecusta, dédiée à saint-Thomas d’Aquin, que les évêques éthiopiens sont en train de construire dans la banlieue d’Addis-Abeba, en collaboration avec les Frères des Ecoles chrétiennes. «Parce que nous -croyons — explique l’archevêque — que l’éducation est fondamentale pour changer les mentalités et aussi pour apporter la solidarité entre les différents groupes ethniques et tribaux d’Ethiopie».
A Djouba, au Soudan du Sud, où le cardinal éthiopien s’est rendu en février pour la visite du Pape, j’ai «vu beaucoup de jeunes Ethiopiens, Kényans, Erythréens, Ougandais qui travaillaient là-bas. Il y a donc du travail en Afrique. Si les frontières, qui sur notre continent sont souvent artificielles, autrefois coloniales, parce que les gens sont les mêmes, étaient libres», les jeunes pourraient mieux se déplacer et changer leur situation, «sortir de la pauvreté et être en mesure de défendre la dignité de la personne humaine». C’est sur laformation et la détermination des jeunes Africains que mise également le projet pilote lancé à la fin 2020 à Addis-Abeba par le Global Solidarity Fund, avec la collaboration de congrégations religieuses féminines et masculines, dans le but de collaborer avec des entreprises privées et des organisations internationales pour renforcer leur engagement en vue d’améliorer la vie des plus vulnérables, les migrants «de retour», les réfugiés d’autres pays africains et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Il l’a fait en soutenant la création d’un «consortium», un réseau intercongrégationnel, qui implique aujourd’hui les salésiens et les sœurs salésiennes (Filles de Marie Auxiliatrice), les ursulines, les missionnaires de la Charité et les jésuites (à travers le Service jésuite des réfugiés), coordonnés par la commission socio-pastorale de l’archidiocèse. Chaque congrégation a son rôle à jouer dans la création d’un parcours vertueux qui a jusqu’à présent, aidé plus de 1.500 bénéficiaires à acquérir, par le biais de la formation professionnelle, les compétences nécessaires pour entrer sur le marché du travail local, soit en étant employés dans une entreprise, soit en créant leur propre micro-
entreprise.
Le cardinal Souraphiel connaît bien le projet du Gsf, dont il a visité certains centres de formation et d’insertion, et se félicite de son succès, au point de proposer de l’exporter dans d’autres diocèses éthiopiens mais aussi dans d’autres pays africains. Il rappelle le drame des nombreuses jeunes femmes (les jeunes représentent 70% de la population éthiopienne) qui émigrent dans les pays du Golfe pour travailler comme aide-ménagères: «Mais elles ne sont pas suffisamment préparées — nous dit-il — et la transition entre un village éthiopien et un gratte-ciel à Dubaï» est souvent traumatisante. Au cours des derniers mois, raconte l’archevêque d’Addis-Abeba, près de 100.000 travailleurs domestiques, hommes et femmes, ont été renvoyés d’Arabie saoudite en Ethiopie. Un grand nombre, explique-t-il, «ont subi des abus et sont sans espoir, ils vivent cela comme une défaite et n’ont pas le courage de retourner dans les villages où ils avaient promis d’en-voyer de l’argent». Mais ils n’ont même pas de quoi survivre dans une grande ville comme Addis-Abeba. Ce sont eux, ces migrants éthiopiens «de retour», qui sont les premiers bénéficiaires du projet de «consortium» promu par le Global Solidarity Fund.
«Les congrégations qui participent au projet sont prêtes non seulement à les accueillir, mais aussi à leur donner de nouvelles compétences», et «pour leur permettre de continuer à vivre ici» C’est une grande aide pour les filles-mères qui vivent seules avec leurs enfants: «Elles peuvent confier leurs enfants aux sœurs et suivre des cours pour acquérir différentes compétences qu’elles pourront utiliser dans leur travail. Certaines ont réussi à créer leur propre petite entreprise. D’autres sont employées dans diverses entreprises d’Addis-Abeba pour travailler et gagner ce dont elles ont besoin pour vivre». Leur expérience, assure le cardinal éthiopien, «est importante aussi pour ceux qui reviennent aujourd’hui après avoir émigré: ils nous aident à parler à leurs frères et sœurs, à les convaincre de ne pas perdre espoir et à comprendre que, grâce au projet du Gsf avec les congrégations, ils peuvent apprendre beaucoup de choses, pour changer leur vie sans quitter le pays, mais en restant ici».
#VoicesofMigrants
Alessandro Di Bussolo
d’Addis-Abeba