L’Orchestra del Mare (L’Orchestre de la Mer) s’est produit pour la première fois le lundi 12 février sur la scène du théâtre de la Scala à Milan. Les musiciens de l’Accademia dell'Annunciata d'Abbiategrasso, dirigée par Riccardo Doni, ont interprété des œuvres de Bach, Vivaldi, Sollima, Volans et Kreisler, avec Mario Brunello et Giovanni Sollima au violoncelle et Gilles Apap au violon. Des instruments qui ont comme particularité d’avoir été fabriqués dans les ateliers de quatre centres carcéraux d’Italie, à partir du bois de bateaux de migrants arrivés dans le sud de la péninsule. Le concert a été retransmis en direct dans les prisons d'Opera, Monza, Rebibbia et Secondigliano qui ont participé au projet Metamorfosi. L’initiative est née en 2021, sur l’intuition de la Fondation Casa dello Spirito e delle Arti d’Arnoldo Mosca Mondadori et Marisa Baldoni, soutenue par la Fondation Santo Versace. Les médias du Vatican ont interrogé Arnoldo Mosca Mondadori, à l’origine du projet:
Arnoldo Mosca Mondadori vous êtes à l’origine de Metamorfosi. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet?
Tout est parti de cette interpellation régulièrement lancée par le Pape qui nous demande de nous interroger lorsque nous voyons des migrants. Nous sommes appelés à nous demander: «pourquoi eux et pas moi? Pourquoi mon fils n'est pas sur ce bateau alors que ce jeune qui a l’âge d’être mon fils s’y trouve…» Cette empathie est à la base de ce projet, car il y a toujours le risque de voir le drame des migrants comme quelque chose qui concerne les autres. Cette question s'applique également aux personnes en prison: «Qu’est-ce qui fait que ces détenus sont nés dans ce mauvais quartier et pas moi, ni aucun de mes proches?» Cette mise en perspective nous aide à ne pas juger. C’est en ayant le souci des migrants et des détenus qu’est né le projet «Métamorfosi» et tous ces instruments créés à partir des bateaux de migrants pour former un orchestre, l’Orchestra del Mare. Ils ont été construits par des personnes incarcérées qui ont eu la possibilité de travailler.
Les prisons d'Opera, de Monza, de Rebibbia et de Secondigliano ont suivi le concert. Qu’est-ce qui a amené les détenus de ces centres à réaliser des instruments?
A la prison d’Opera, on fabriquait déjà des violons depuis dix ans. A un moment donné, pendant la pandémie, nous étions en 2021, nous avons apporté du bois de Lampedusa pour fabriquer des berceaux et pendant qu'ils travaillaient sur les berceaux, ils fabriquaient aussi un violon. C'est à ce moment-là qu'est née l'idée de cet «orchestre de la mer», et un détenu a suggéré de demander au gouvernement les bateaux des migrants, qui sont généralement détruits et éliminés comme déchets spéciaux. Nous avons donc rencontré la ministre de l'intérieur de l'époque, Luciana Lamorgese, et le gouvernement nous a accordé les premiers bateaux afin qu'ils ne soient pas détruits, mais deviennent des souvenirs vivants. Ainsi, à l’atelier de la prison d’Opera où se trouve une lutherie, ces bateaux sont devenus un violon, un violoncelle, une contrebasse... quatorze instruments sont nés pour un premier orchestre de chambre qui sera élargi à l'avenir à des instruments typiques de la tradition méditerranéenne, tels que ceux fabriqués dans la prison de Secondigliano, où l'on fabrique des mandolines et des guitares, puis, avec les restes de bois qui ne sont pas utilisés pour les instruments de musique, des chapelets seront fabriqués, en collaboration avec la basilique Saint-Pierre. C’est la dernière pièce de ce projet: deux réfugiés sont impliqués — et il y en aura un troisième — à l'intérieur de la basilique vaticane où, dans une pièce, ils assemblent des pièces provenant de différentes prisons pour fabriquer des croix et des chapelets.
Votre projet s'appelle «Metamorfosi»...
Métamorphose parce que co-existent la transformation du bois et des personnes emprisonnées qui parviennent, grâce à ce travail, à comprendre d'abord l'erreur qu'elles ont commise et ensuite à faire, grâce à leur travail, un chemin de plus en plus conscient, jusqu'à ce qu'elles soient capables de se réinsérer. Et nous accompagnons ces personnes pendant des années, jusqu'à leur sortie. C'est un accompagnement qui dure longtemps.
Ensuite, ils permettent à des jeunes de changer, car au cours de l'année, des centaines de jeunes âgés de 16 à 18 ans viennent voir les bateaux et parler aux détenus en prison. Souvent, comme nous, ils ont des préjugés, mais lorsqu'ils entrent en contact avec cette réalité, ils changent d'avis, ce qui entraîne une métamorphose de tierces personnes. Et j'espère que le public de la Scala et un public plus large se métamorphoseront également, parce que, s'il y a des préjugés, du racisme ou des attitudes fermées, peut-être qu'en écoutant les harmonies et la beau-té de cette musique, quelque chose pourra bouger. La musique touche tout le monde. (propos recueillis par Lucas Duran)