Le «capitaine» Seydou revient au Sénégal pour raconter aux jeunes de son âge que ce voyage vers le rêve d’une vie meilleure en Europe, il serait bon de ne pas le faire, du moins pas comme il l’a fait lui, parce que terrible, dangereux, marqué par la faim, la soif, la prison, les tortures et la mort qui menace à chaque instant dans le désert et en mer. Jusqu’au 27 avril, le film de Matteo Garrone Moi capitaine s’est trouvé en effet là où tout a commencé. Et c’est précisément le quartier populaire de la Médina, au cœur de Dakar, où avaient été tournées les scènes initiales, qui a accueilli dimanche 14 la première projection, à la Maison de la Culture Douta Seck. Elle a donné lieu à une vaste tournée dans les écoles et sur les places de la banlieue de la capitale et d’autres villes et villages.
Le film était accompagné, outre des protagonistes Seydou Sarr, Moustapha Fall et Amath Diallo, également par le réalisateur, enthousiasmé par l’initiative, promue par Cinemovel, un projet qui fait «voyager» le cinéma comme instrument de connaissance, échange culturel et sensibilisation.
«Quand on m’a proposé cette belle idée — nous a dit Matteo Garrone à peine rentré du Sénégal — j’ai été heureux d’y participer, parce que je suis convaincu que ce film, donne à ceux qui vivent dans ces lieux et qui pen-sent partir, la possibilité de voir ce qui les attend dans ce voyage vers l’Europe, en les mettant en garde contre les risques. Très souvent, ceux qui partent le font avec une attitude très ingénue, ils suivent un mirage. Ils sont jeunes, ils pensent être invincibles, mais ils se heurtent ensuite à la réalité que nous avons essayé de raconter dans le film. Il était important de montrer ce que signifie entreprendre un tel voyage».
A chaque rendez-vous, l’accueil de Moi Capitaine est véritablement spécial, émouvant. Arriver dans un village perdu, monter un écran, allumer un projecteur, sont des gestes surprenants pour les spectateurs, comme ce qui sera projeté et qui pourra peut-être aussi changer un peu leur vie. Et c’est ce qui a eu lieu au Sénégal. «C’est comme faire un voyage en arrière dans le temps — raconte en effet Matteo Garrone. On a l’impression de revenir à ce qu’étaient les origines du cinéma: on voit les réactions du public et surtout, cet émerveillement que nous avons un peu perdu».
Mais plus que les mots, ce sont les images qui expliquent ce dont parle Matteo Garrone, qui nous montre une vidéo des spectateurs observant la -scène de la femme qui plane dans le désert, et que Seydou tient par la main: «Ils ont la réaction de qui n’est pas habitué à certaines expériences. Voir leur émerveillement, l’émotion avec laquelle ils participent au film, cela émeut, réchauffe le cœur».
Mais ce n’est pas seulement cela, parce qu’à la fin, le message du film, fort et puissant, arrive. Et il arrive encore plus directement grâce au choix d’avoir maintenu la langue locale, le wolof. «J’ai souvent entendu dire — se souvient le réalisateur — dans les débats à la fin de la projection: j’ai essayé tant de fois de partir, mais à présent, après avoir vu le film, je sais que je ne le ferai plus. Je pense que c’est l’aspect le plus important. C’est une goutte dans l’océan, mais réussir à sauver ne serait-ce que quelques vies est déjà beaucoup».
C’est sur cet aspect qu’insiste également le médiateur culturel, Mamadou Kouassi, dont l’histoire a inspiré le film qui se trouve encore au Sénégal avec Cinemovel. «C’est important d’être ici — nous dit-il au téléphone — c’est une victoire de pouvoir en parler, parce que c’est une façon de restituer la vérité de l’histoire que j’ai vécue en personne: les souffrances, les dangers, la peur. Ce sont des sujets de ré-flexion, des thèmes sur lesquels sen-sibiliser surtout les enfants, les jeunes (ils sont très nombreux aux projections) et les pousser à tenter d’entreprendre un voyage normal, et pas dans la clandestinité. Bien sûr, il y a le problème des visas, il faut parfois attendre jusqu’à 5 ans pour en obtenir un, et donc la nécessité d’aider la famille pousse à partir plus tôt. Et si d’un côté, il est important de décourager, de faire de la prévention, de l’autre, nous ne voulons pas que les rêves s’éva-nouissent faute de pouvoir -voyager».
La tournée de Moi Capitaine au Sénégal sera racontée dans un documentaire, nous communique Matteo Garrone. Une tournée qui, comme nous l’avons dit, après le début dans la Médina, s’est poursuivie dans les banlieues de Dakar. «Là-bas, dans la périphérie pauvre de la capitale — raconte le réalisateur — nous sommes allés dans l’école de théâtre où a commencer à suivre des cours Moustafa Fall et cela a été très émouvant: il y avait son professeur de théâtre, ses parents, des élèves. Puis nous sommes allés à Thiès, la ville natale de Seydou Sarr, le protagoniste, qui a été accueilli comme une star. C’était véritablement une expérience unique».
Toutes les étapes ont également revêtu une dimension sociale, en impliquant des ong et associations engagées dans des projets de développement dans le pays, comme Acra, Amref Health Africa, Association Pro Senegal, Ipsia, Fondation Reggio Children, Fondation Munus, Aprosem Mboro.
Moi Capitaine — récompensé à Venise, dans la catégorie des cinq meilleurs films étrangers aux Oscars, candidat à 15 David de Donatello — poursuit donc son voyage en arrière. Grâce à Pathé Films, en Afrique, le film a en effet été distribué dans 20 pays. Le souhait est que de nombreuses personnes, parmi celles qui pensent à partir, en saisissent le message. Parce que, comme dit Mamadou Kouassi, «nous ne voulons pas que les personnes meurent». (gaetano vallini)
Gaetano Vallini