L’augmentation exponentielle de l’arrivée de femmes étrangères dans ce pays d’Amérique du Sud représente un défi pour l’Etat et la société civile. Diverses organisations ecclésiales offrent de multiples possibilités de formation, d’emploi et de soutien à l’entrepreneuriat.
Carmen Clara vivait déjà au Brésil depuis quatre ans lors-qu’elle a créé sa propre entreprise. En 2017, elle avait fui la crise économique et sociale de son pays, quittant sa maison et son atelier de couture de Valencia, au Vénézuéla, pour s’installer dans la ville de Boa Vista avec sa fille. Toutes deux y travaillaient comme employées d’une entreprise qui produisait des vêtements de haute technologie pour l’armée, mais en 2020, elles ont voulu tenter leur chance plus au sud et se sont installées à Porto Alegre. C’est à ce moment-là qu’elles ont décidé de prendre un risque, car elles avaient une grande expérience de la coupe et de la couture, constituaient leur propre main-d’œuvre et possédaient deux machines à coudre. La seule chose qui leur manquait était le financement de la matière première, mais il était impossible d’obtenir un crédit auprès d’une banque, et ainsi, leur rêve d’ouvrir leur propre entreprise semblait déjà brisé.
Cependant, Carmen n’a pas renoncé et a trouvé de l’aide auprès du Cibai, une organisation de religieux scalabriniens qui, depuis plus de 60 ans, aide dans leur processus d’autonomie ceux qui viennent d’autres pays pour s’installer à Porto Alegre. Au Cibai, ils ont examiné son projet et lui ont accordé un crédit flexible, avec lequel elle a acheté du tissu et du fil. C’est ainsi que, fin 2021, elle a ouvert un simple atelier de couture qui s’est rapidement transformé en une entreprise prospère, «Clara’s Style», stimulée par une stratégie en ligne qui lui a permis d’élargir sa clientèle.
Aujourd’hui, cinq femmes travaillent dans l’entreprise pour répondre aux nombreuses commandes de vêtements, en particulier d’uniformes professionnels. Selon Carmen, la clé de ce qu’elle a réalisé au Brésil est de toujours rester optimiste. «Il ne faut jamais, au grand jamais, être négatif. Dès que vous quittez votre pays d’origine, vous devez être positif, penser “oui, je peux, oui, je veux”, même si nous nous trouvons souvent dans des situations difficiles», dit-elle en exprimant sa profonde gratitude à l’égard du Cibai.
Délices haïtiens
Rosemie Cavalier est également reconnaissante aux scalabriniens. Elle est venue d’Haïti à Porto Alegre il y a quatre ans, apportant avec elle les trésors gastronomiques de son pays. Au Cibai, elle a pu suivre des cours de cuisine locale et a également été invitée à participer à divers événements au cours desquels elle a pu présenter ses créations culinaires. «J’ai toujours aimé expérimenter et faire goûter mes produits aux autres. C’est ce que j’ai fait et les gens m’ont encouragée à préparer des plats à vendre», explique l’Haïtienne à propos de la motivation qui lui a permis de lancer son entreprise.
Rapidement, la rumeur s’est répandue au sujet de ses plats délicieux, qui ont suscité beaucoup d’intérêt et sont désormais servis lors de réunions sociales. Ils peuvent également être livrés directement à domicile par le mari de Rosemie, Kelly Datus. Pendant qu’elle cuisine dans son petit appartement, il s’occupe des livraisons. C’est ainsi qu’ils ont créé «Rose Delicious Food», une petite entreprise qui leur permet aujourd’hui de gagner leur vie.
Des emplois basés
sur les compétences
Au Cibai, on ne mise pas seulement sur l’esprit d’entreprise, mais aussi sur l’employabilité, en faisant le lien entre les migrants et un vaste réseau d’entreprises. Toutefois, le grand défi consiste à faire en sorte que les gens puissent accéder à des emplois correspondant à leurs compétences spécifiques, ce qui n’est pas toujours facile. Selon Adriana Araújo, coordinatrice de l’intégration socioprofessionnelle, il arrive que des professionnels hautement qualifiés se présentent, tels que des avocats, des médecins ou des ingénieurs, et qu’il ne soit pas satisfaisant pour eux de se retrouver dans des emplois tels qu’un entrepôt de viande. «Dans ces cas-là, nous ferions plus de mal que de bien, car ces migrants sont déjà émotionnellement fragiles et doivent faire face à une tâche opérationnelle à laquelle ils ne sont pas habitués. Pour un ingénieur, nous ne pouvons peut-être pas trouver un emploi d’ingénieur, mais plutôt un emploi dans le domaine de la maintenance, plus proche de sa réalité», explique l’assistante sociale.
Mais ce n’était pas le cas de l’avocate vénézuélienne Carmen Estela Liscano, car le Cibai lui a proposé un emploi taillé sur mesure pour elle. En 2021, l’entreprise transnationale de remontées mécaniques tke recherchait une personne capable d’évaluer les contrats avec ses clients et fournisseurs dans toute l’Amérique latine et, par conséquent, ayant des compétences juridiques et parlant parfaitement l’espagnol. Dans le cadre du processus de sélection, tke a contacté le Cibai, qui lui a envoyé le cv de Carmen Estela. En quelques jours, elle a été embauchée et, selon ses supérieurs, sa contribution au travail a été formidable. Et ce n’est pas seulement elle qui en a profité, mais aussi toute sa famille. «Ici, au Brésil, la vie a définitivement changé pour moi, mes filles et mon mari. Dieu et la vie nous ont offert une nouvelle opportunité, pour laquelle je serai éternellement reconnaissante. Tout ce que je peux dire, c’est que cette expérience a été positive et enrichissante. Elle nous a aidés en tant que famille, la migration nous a beaucoup plus unis et nous a aidés à en sortir plus forts», déclare Carmen Estela.
Une option préférentielle
pour les femmes
La mégalopole de São Paulo est également une destination fréquente pour ceux qui viennent s’installer au Brésil. Le Centre d’intégration des migrants (cim), géré par les Missionnaires serviteurs du Saint-Esprit, travaille dans le quartier de Brás et se consacre tout particulièrement à la promotion des femmes. Sœur Janice Santos de Santana explique que le centre accueille de nombreuses mères célibataires, ainsi que d’autres personnes victimes de violence et d’exploitation au travail, où certaines travaillent jusqu’à douze heures par jour; et leurs enfants sont accueillis l’après-midi à la crèche du cim.
Dans cette institution, en plus de les aider à régulariser leur permis de séjour, on leur propose des cours de portugais et différentes formations professionnelles. Mais le plus difficile est de faire face à la profonde nostalgie que ressentent les femmes qui voyagent seules et sont séparées de leur famille. C’est ce qui est arrivé à Crismarys Carrizales. Elle a laissé son mari et ses deux grands enfants au Vénézuéla et n’est venue au Brésil qu’avec son petit dernier. Cela fait un an qu’ils vivent séparément et le seul contact qu’ils ont, c’est par le biais d’appels vidéo. «J’essaie de rester en communication constante avec eux pour qu’ils ne pensent pas que je les ai abandonnés, mais que je travaille pour qu’ils aient un bon avenir et qu’ils puissent venir ici avec moi», explique Crismarys, qui économise autant que possible pour leur envoyer des billets pour le Vénézuéla afin que la famille puisse être réunie.
La question économique est l’une des principales préoccupations de ces femmes, car elles doivent nourrir et habiller leurs enfants, et envoyer de l’argent dans leur pays d’origine lorsque la situation le permet. Pour les aider dans ce domaine, le cim dispose d’une boutique de vêtements d’occasion en excellent état et à très bas prix. «Beaucoup de mères travaillent dans des ateliers comme couturières, confectionnant des vêtements tous les jours, mais lors-qu’elles veulent offrir un cadeau à leurs enfants, elles viennent généralement le chercher dans notre bazar», commente sœur Janice, que Crismarys considère comme une amie et une confidente.
La nécessité de soutenir les femmes migrantes augmente chaque jour au Brésil, parallèlement à l’augmentation du pourcentage de leur présence dans le pays. Selon le dernier rapport de l’Observatoire international des migrations, en dix ans, le pourcentage de femmes demandeuses d’asile est passé de 10,5% à 45,4%. La plupart d’entre elles viennent du Vénézuéla, d’Haïti et de Cuba. Une réalité qui exige une réponse de plus en plus urgente de la part de l’Etat et de la société civile, mais qui trouve dans une pluralité d’organisations de l’Eglise catholique un chemin déjà parcouru et une énorme expérience accumulée au service des migrants.
Il est a noter que ce reportage a été réalisé en collaboration avec le Global Solidarity Forum.
#voicesofmigrants
Felipe Herrera-Espaliat,
de Porto Alegre