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La situation dramatique à Haïti racontée par l’évêque de Fort-Liberté

Là où seul l’Evangile apporte de bonnes nouvelles

 Là où seul l’Evangile apporte de bonnes nouvelles  FRA-029
18 juillet 2024

La nourriture est rare et de plus en plus chère, le prix du carburant a triplé dans certains cas, de nombreuses écoles sont fermées aujourd'hui. Selon les Nations Unies, plus de 8400 personnes ont été enlevées, blessées ou assassinées en Haïti en 2023. Les paroisses et autres institutions ecclésiastiques locales offrent un abri aux réfugiés contraints de quitter la capitale Port-au-Prince en raison de l'insécurité créée par les descentes des groupes criminels. Le diocèse de Fort-Liberté aide également de nombreux habitants à surmonter la grande souffrance de devoir quitter leur maison et toute une vie construite à Port-au-Prince, pour s'aventurer dans des lieux inconnus, toujours en Haïti mais avec lesquels ils n'ont aucun lien existentiel.

«L'Eglise — explique Mgr Quesnel Alphonse, évêque de Fort-Liberté, dans une interview — continue à travailler sur tous les fronts pour accompagner la population. D'autre part, à travers la voix de la Conférence épiscopale haïtienne, elle prend toujours position sur la situation du pays et exhorte les acteurs publics et privés à prendre leurs responsabilités, en défendant la vie et en condamnant les bandes criminelles». Un congrès organisé par l'Académie des dirigeants catholiques d'Amérique latine s'est tenu en mai dernier à ce sujet, en présence du cardinal-secrétaire d'Etat, Pietro Parolin, du nonce apostolique aux Etats-Unis, le cardinal Christophe Pierre, de plusieurs personnalités politiques haïtiennes et d'anciens chefs d'Etat latino-américains.

La situation actuelle en Haïti est chaotique. Elle l'est d'ailleurs depuis de nombreuses années. «Du point de vue politique, avec l'appui de la Communauté caribéenne, est né le Conseil présidentiel de transition qui s'est fixé trois objectifs: résoudre le problème de l'insécurité, organiser des élections et venir en aide aux personnes déplacées. Cependant, les membres de cet organe sont déjà en train de lutter pour le pouvoir, mais j'espère qu'ils réussiront leur mission», confie Mgr Alphonse. Sur le plan économique, près de la moitié de la population souffre de pénuries alimentaires: «Dans la capitale, c'est l'enfer. Les villes de province, surtout dans le Grand Sud et le Grand Nord, sont isolées de Port-au-Prince depuis des années. Elles sont passées de la pauvreté à la misère». Du point de vue de la sécurité, la population ne sait plus vers qui se tourner: «Les bandes criminelles ont de plus en plus de pouvoir. Elles contrôlent jusqu'à 80% de la capitale, bloquent souvent l'accès au plus important terminal de stockage de carburant haïtien et mettent parfois la police en fuite. Le dégoût de la vie de ces groupes armés est tel qu'ils se sont fédérés en un groupe paradoxalement appelé Viv Ansanm (Vivre ensemble)».

Début juillet, une force militaire multinationale dirigée par le Kenya est arrivée en Haïti, où les Etats-Unis ont construit une base pour l'accueillir. Il s'agit donc d'une nouvelle tentative de pacification.

«Tout en respectant la vie, l'Etat doit s'imposer et pouvoir contrôler le pays, observe l'évêque de Fort-Liberté. Nous sommes, en tant qu'Eglise, pour le pardon et la repentance, mais nous refusons l'impunité sous toutes ses formes, car elle déshumanise l'individu et détruit les sociétés». L'Eglise haïtienne paie durement la violence endémique des gangs criminels. «Depuis 2020, des prêtres et des religieux ont été enlevés et tués», puis il ajoute: «Dans certains cas, des communautés ont payé d'énormes rançons pour libérer les otages. Dans ces conditions, le travail apostolique devient de plus en plus difficile. Le petit séminaire collège Saint-Martial a été récemment pillé et saccagé, l'école catholique Sainte-Rose de Lima a dû fermer pour ne pas exposer les enfants aux balles perdues. Toutes les rencontres interreligieuses de formation de jeunes organisées à Port-au-Prince ont également été suspendues».

Dans ce contexte difficile, l'Eglise haïtienne poursuit la mission que lui a confiée le Christ: maintenir l'espérance dans un pays meilleur, sous le regard bienveillant de Notre-Dame du Perpétuel Secours, patronne d'Haïti. L'instrument de cette mission est l'Evangile. «Comme son nom l'indique, reprend Mgr Alphonse, l'Evangile est porteur de bonnes nouvelles. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour diffuser la bonne nouvelle du salut par le biais de nos sermons, à l'église ou sur internet. En effet, presque toutes les paroisses ont un service en ligne pour l'évangélisation de nos fidèles: sans cela, les gens seraient perdus parce que l'Evangile touche le cœur de l'être humain et nous croyons que l'évangélisation peut aider à mettre fin à la violence».

Les Ecritures incitent à résoudre un certain nombre de questions prioritaires: l'insuffisance de l'aide humanitaire envoyée à Haïti, au-delà du fait que «bien que nous reconnaissions les efforts déployés, il y a beaucoup plus de promesses que d'actions concrètes de la part des acteurs internationaux». Sans oublier qu'«il a fallu vingt mois» pour obtenir des signaux positifs sur le lancement de la mission militaire qui tentera désormais de gérer la crise sécuritaire sur l'île. Enfin, il y a la question de la corruption: «Des pays comme le Canada et les Etats-Unis ont sanctionné des acteurs politiques et économiques en Haïti pour corruption, blanchiment d'argent et complicité avec des gangs» mais «il y a eu un manque de volonté» à appliquer «d'autres mesures pour soutenir le gouvernement haïtien dans le jugement et la condamnation des coupables» pour faire suite aux sanctions économiques, conclut l'évêque.

Giordano Contu