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Le témoignage de l’évêque de Pemba sur la situation dramatique à Cabo Delgado

Au Mozambique portes ouvertes aux personnes dans le besoin

Mozambique, Cabo Delgado, March 2021
War displaced people of Cabo Delgado. Distribution of food in ...
01 août 2024

Des attaques violentes, puis la fuite dans les bois. De nouvelles attaques, encore et encore. La situation à Cabo Delgado, la province la plus au nord et la plus pauvre du Mozambique, perdure depuis 2017. La pression conjointe des soldats mozambicains, de leurs alliés rwandais et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (cdaa) n'a pas suffit. Les miliciens djihadistes de l'autoproclamé Etat islamique continuent d'attaquer les communautés, les villages et les villes. Ils tuent, détruisent, terrorisent. C'est un massacre qui est perpétré dans le silence de la communauté et des médias internationaux.

«Cette année — explique Mgr António Juliasse Ferreira Sandramo, évêque de Pemba — les mois de janvier et février ont été les plus tragiques, avec une série d'attaques menées dans la région orientale du district de Chiure, où 18 églises catholiques ont été détruites dans autant de villages attaqués. Il y a eu des morts et de nombreuses personnes ont été contraintes de se déplacer, augmentant le nombre de déplacés internes, qui a déjà atteint un million depuis le début de cette instabilité militaire en 2017. L'autre attaque majeure a eu lieu le 10 mai dernier, quand les djihadistes islamiques ont envahi le chef-lieu du district de Macomi, provoquant des morts, des dégâts à certaines infrastructures et le sac d'organismes économiques et d'organisations non gouvernementales».

Le nombre de victimes continue d'augmenter. Un nombre provisoire atteste de 4000 morts. «La situation humanitaire — ajoute l'évêque — mérite encore plus d'attention. De nombreux camps de réinstallation pour déplacés internes ne bénéficient pas de conditions adéquates. Cette année, la récolte a été insuffisante, la faim dans les camps et parmi les populations qui sont revenues dans les villages attaqués se fera sentir. Il y a un manque de médicaments et d'instruction. Les organisations qui fournissaient un soutien psychosocial et une protection aux personnes vulnérables sont à court d'argent et délaissent leur travail. La crainte est que les problèmes liés aux violations des droits humains, surtout à l'encontre des femmes et des enfants, ne s'aggravent à nouveau parmi les déplacés internes».

Né en Tanzanie sous le nom al-Shabaab, le groupe de fondamentalistes islamiques qui tient d'une main de fer la province s'est agrandi. Le mouvement a pris le nom de Ahlu alSunna et a fait allégeance à l'autoproclamé Etat islamique. Il a progressivement intensifié ses activités, visant les forces armées mozambicaines, formées par des jeunes conscrits peu préparés. Les miliciens du groupe Wagner et les soldats sud-africains, appelés à s'associer aux militaires de Maputo, ont également échoué, car ils n'ont pas réussi à réprimer l'insurrection. Il avait semblé que l'intervention rwandaise avait réussi à repousser l'offensive des fondamentalistes. «La configuration du territoire de Cabo Delgado — explique Marco di Liddo, directeur du Centro Studi Internazionali, un think thank italien spécialisé en analyses géopolitiques, au journal Il Regno — est complexe et permet à une force très mobile, comme celle djihadiste, d'attaquer et de se cacher. C'est une tactique épuisante qui ne permet pas à une armée traditionnelle de déployer intérieurement ses forces et la puissance de ses armes. Les djihadistes n'ont rien inventé. Leur façon d'avancer sur le terrain est la même qui avait été adoptée le Frelimo, le Front de libération du Mozambique, parti actuellement au pouvoir, lorsque qu'il luttait en tant que milice contre les colonisateurs portugais». Malgré les efforts conjoints des forces locales et internationales, la situation reste instable, avec des con-séquences directes sur la sécurité régionale et sur les populations locales. «Aujourd'hui — continue Marco di Liddo — la situation a un peu changé par rapport à 2021. A l'époque, l'offen-sive des djihadistes leur avait permis d'assiéger quelques grandes villes de la province. Aujourd'hui, les miliciens islamistes se sont retirés et mènent une stratégie d'attrition. Selon les analystes militaires, les djihadistes sont bien entraînés et armés, et ont su tisser un solide réseau de relations avec des mouvements similaires en Tanzanie et en République démocratique du Congo».

Les raisons de l'expan-sion de cette milice sont complexes, observe l'évêque de Pemba. Elle est due au terrorisme islamiste (isis) et à la pauvreté, à l'appropriation illicite de ressources naturelles et minérales et à la corruption de certaines figures du pouvoir cherchant à s'enrichir rapidement à travers le trafic de drogue, à la traite des êtres humains et à d'autres activités illicites. Ahlu al-Sunna travaille également sur le plan idéologique. Pour recueillir un consensus, elle se présente à la population comme une formation liée au territoire. Elle tire parti du mécontentement des paysans qui se sentent abandonnés et marginalisés par le pouvoir central. «La population — continue le prélat — se trouve dans une situation vulnérable, elle est souvent contrainte à coopérer lorsqu'elle n'arrive pas à fuir. Les gens sont victimes de cette violence militaire. Les djihadistes ont parfois demandé le soutien aux populations islamiques, qui coopèrent souvent par qu'elles ont peur».

Le risque est que la situation empire. Le mandat de la cdaa expire ce mois-ci et certains départements ont déjà commencé à se retirer. Piers Pigou, responsable du Programme pour l'Afrique méridionale de l'Institut pour les études sur la sécurité, a déclaré que les récentes actions des djihadistes et, en particulier, l'attaque de Macomia, confirment les préoccupations sur un vide de sécurité qui pourrait s'ouvrir avec la fin de la mission de la cdaa. Treize milles soldats rwandais et les divisions mozambicaines resteraient sur le terrain. Ces derniers sont peu entraînés et ne sont pas capables de faire face à un enjeu militaire aussi difficile.

«Depuis 2017, l'Eglise catholique — conclut l'évêque de Pemba — a fourni à plus de 250.000 déplacés internes une assistance sanitaire, un accès aux transports, de la nourriture, des refuges, un soutien psychosocial, une assistance spirituelle. L'Eglise cath-olique est engagée dans ce soutien à travers la Caritas diocésaine de Pemba, le secteur du diocèse consacré aux urgences, ainsi que par l'implication directe du personnel missionnaire dans les paroisses où ils se trouvent. De nombreuses personnes dans le besoin cherchant de l'aide frappent à la porte des prêtres et des religieuses. Malheureusement, depuis que des guerres plus médiatiques ont éclaté en Europe et au -Moyen-Orient, notre problème est passé au second plan et les aides n'arrivent plus comme avant. Sans aide, l'Eglise risque de ne plus pouvoir aider les autres victimes des attaques djihadistes.

Enrico Casale