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Apostolat du soin et du lien

 Apostolat du soin et du lien  FRA-043
24 octobre 2024

C’est une structure unique dans le paysage beyrouthin et levantin. Un îlot de soin et de dévouement qui joue sa survie dans le cyclone meurtrier de la guerre ayant emporté le pays du Cèdre depuis l’offensive terrestre israélienne contre le Hezbollah. L’hôpital Geitaoui a été fondé il y a près d’un siècle par les sœurs maronites de la Sainte-Famille. Six religieuses y travaillent encore aujourd’hui. L’unité de soins dédiée aux grands brûlés existe, elle, depuis 25 ans, mais n’a jamais vu autant d’afflux et de gravité qu’en ce début d’automne. «C’est inédit. Parce que, en 2006, lors de la guerre avec Israël, il y a eu quelques brûlés, mais des brûlures au deuxième et troisième degrés à 20, 30, 40% au maximum. Actuellement, c'est 50, 60, 70% et nous avons déjà eu cinq décès parmi les brûlés», déplore le Dr Pierre Yared, directeur de l’hôpital universitaire dont cette unité spécialisée est submergée.

D’une capacité initiale de neuf lits, elle est passée à 25 à la demande du ministère de la Santé et un étage de médecine a été transformé en étage dédié aux brûlés. A mesure que les bombes pleuvent, les patients à la peau noircie s’entassent. Le travail médical devient mission humanitaire. La nuit du début des hostilités, celle du 23 septembre, est demeurée gravée dans la mémoire du chirurgien viscéral: «On a travaillé toute la journée le 23 et la nuit du 23 au 24. Vers 23h00, on était tous prêts avec les infirmières, le personnel administratif, à recevoir les brûlés. A partir de minuit, on a commencé à recevoir des brûlés venant de toutes les régions, des civils blessés et brûlés par le raid aérien, en majorité des blessés de deuxième et troisième degrés, des brûlures profondes. Ces patients-là ont une superficie de brûlure de plus de 60%».

Des survivants, hommes, femmes et enfants, dont il faut recouvrir les plaies étendues de pansements journaliers. «Chacun de ces pansements prend entre deux et trois heures. Ensuite, on les traite par des greffes de peau. On leur donne beaucoup d'antibiotiques, de l'albumine, de sérum. Deux ou trois d’entre eux sont sous respirateur, donc endormis», raconte le médecin libanais Yared, qui a soigné un adolescent de 15 ans et deux bébés d’un et deux ans. La moyenne d’âge se situe entre 40 et 50 ans, mais le docteur chrétien l’assure, «tous sont des civils, non des combattants».

Les brûlés proviennent de la région du Sud-Liban à 80%, et à 20% de la Bekaa. Blessé et brûlé sur place, le malade est hospitalisé dans la région, puis transféré dans l’unité spécialisée un à deux jours plus tard. «Les distances sont longues et les transferts nocturnes risqués dans de telles conditions. Les raids aériens sont fréquents, on attend les accalmies pour nous amener ces civils». Une réalité crue de la guerre visible dans la chair de ces estropiés face à laquelle le moral du personnel médical ne tient qu'à un fil. «Nous n’avons pas le choix, nous n’allons rien lâcher», assure, déterminé, le Dr Yared en dépit d’aides financières ténues et de conditions de travail précaires. Dans un pays sans gouvernement, le soutien des autorités au secteur sanitaire est minime, si ce n’est inexistant. L’hôpital universitaire survit grâce à l’Eglise locale et aux ong.

«Nous sommes inquiets parce que notre trésorerie ne va pas être suffisante pour plus d'un mois. A la fin du mois, vous avez les salaires à payer, le fuel très onéreux à régler, les fournisseurs de matériel de médicaments qui refusent les délais de paiement. Le tarif du ministère de la Santé ne représente lui pas plus de 50% du coût réel des soins de ces brûlés et de ces blessés», se lamente-t-il, ayant lancé déjà plusieurs appels au secours à diverses organisations comme L'Œuvre d’Orient qui en a fait un partenaire, ou la cnewa (la Catholic Near East Welfare Association).

Très concrètement, l’unité des grands brûlés de Geitaoui a besoin d'antibiotiques, d'albumine, de pan-sements vaselinés, de solutions de savon, de bétadine, de médicaments antibiotiques, d’alimentation parentérale. «Tout cela coûte cher et doit être payé en liquide», soupire Pierre Yared, décidé à résister: «On ne peut pas quitter le pays, on ne peut pas laisser ces patients et ces blessés seuls. Ce sont des innocents, qui ont reçu des éclats de bombes, des bombes parfois qui les ont brûlés à l'intérieur de leurs maisons ou des centres où ils ont été hébergés».

Delphine Allaire