Entretien avec la coordinatrice du premier Rapport de la Commission pontificale

Un outil au service des Eglises pour la protection des mineurs

 Un outil au service des Eglises pour la protection des mineurs  FRA-044
31 octobre 2024

Dans cet entretien avec les médias du Vatican, Maud de Boer-Buquicchio, coordinatrice du rapport de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, ancienne juriste internationale, ex-rapporteure de l'onu sur l'exploitation des enfants et secrétaire générale pendant dix ans du Conseil de l'Europe, revient sur la méthodologie qui a présidé ce rapport destiné à accompagner les Eglises locales dans une meilleure protection des mineurs.

Pourquoi ce rapport est-il important?

Il est le fruit des discussions et conversations, parfois même dures, que nous avons eues avec nos interlocuteurs, et qui sont en mesure de changer les choses, notamment donner la direction d'un changement véritable au sein de l'Eglise. C'est une avancée par rapport à la question de l'abus des mineurs, tant au niveau de ceux qui commettent l'acte individuellement, mais surtout en ce qui concerne le leadership qu'on peut attendre d'une Eglise pour qui chaque être humain doit être respecté dans sa dignité. De ces conversations et des informations que nous avons recueillis par d'autres sources et notamment des victimes, nous espérons et nous souhaitons qu'on montre la voie vers un monde meilleur au sein même de l'Eglise.

Vous avez travaillé avec des commissions épiscopales, des membres de différentes régions du monde, mais aussi des victimes. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu ce travail?

Disons que l'on est parti de rien et que l'on a dû développer une méthodologie. La méthodologie la plus facile au départ, c'est de se baser sur un calendrier de visites ad limina des conférences épiscopales qui répondent à des questions tout à fait spécifiques par rapport à la sauvegarde, que nous leur avons adressées et qui portent sur la façon dont cette conférence épiscopale affronte la question de l'abus sur les enfants. Nous leur avons dressé une liste de question: est-ce qu'il y a des mécanismes de pouvoir pour la victime de se plaindre? Est-ce qu'il y a une formation? Est-ce qu'il y a vraiment une attitude d'écoute? Toutes ces choses-là sont soumises aux évêques, mais nous, nous savons que rien ne peut refléter les vrais besoins des victimes sans les entendre. Cette question est vraiment essentielle et donc il vaut mieux faire doucement, mais être sûr que l'on choisit la bonne voie, que de faire les choses trop rapidement et peut être à côté de la plaque. Tout se joue au niveau local.

Il y a une grande responsabilité au niveau des Eglises locales pour savoir comment faire pour accompagner les victimes dans leur grande souffrance qui fait suite à une telle atteinte à leur dignité, à leur intégrité physique et morale. Une souffrance qui risque de durer si on n'a pas la compréhension et l'assistance nécessaire pour pouvoir poursuivre leur chemin de vie.

Vous dites dans votre rapport que dans certains pays, en Asie ou en Afrique par exemple, dans des sociétés patriarcales, où des contextes ou encore la culture du silence ou du pouvoir restent fortes, tout ceci est un frein. Cette donnée culturelle est l'un des obstacles majeurs dans la lutte pour la prévention des abus?

Il faut reconnaître qu'il y a des pays qui sont moins avancés que d'autres. Mais le contexte culturel ou social ne peut jamais justifier une atteinte comme un abus sexuel ou un viol. Ce rapport vise justement à accompagner même les personnes les plus réticentes à faire comprendre qu'il y a un chemin possible, que le simple fait d'en parler est déjà beaucoup, qu'il faut qu'il y ait «une première fois». Mais on a vu ce déclic un peu partout, une dynamique qu'il faut accompagner pour que ces questions ne soient plus occultées, ni cachées.

Que manque t-il selon vous pour que l'Eglise envisage cette question des crimes sexuels contre les mineurs comme un problème systémique?

Je pense que le message est donné par le Pape. Le Saint-Père a vraiment été tout à fait clair. Il faut maintenant que cela filtre vers le bas, sur tous les niveaux. Un autre problème est que parfois on n'a pas assez de données. C'est un problème général dans le monde parce que sur la question des abus sexuels des enfants, on ne peut pas donner les chiffres. Et pourquoi? Parce que les enfants n'ont pas l'occasion de parler, il n'y a pas de mécanismes qui sont à leur écoute. il y a aussi la culture du silence. La famille ne veut pas que cet enfant — même leur propre enfant — ne parle de peur que cela le stigmatise. Il y a aussi l'attitude patriarcale par rapport notamment à la question des garçons, qui ne doivent pas pleurer, ni pleurer, parce qu'ils «sont forts». C'est tout cela aussi qui empêche que l'information remonte. Et en l'absence de données précises, il est facile de nier qu'il y a un problème. Pour nous, le défi est vraiment d'élargir nos sources. C'est un travail à long terme, mais on donne la voie, on indique la voie et c'est ça qui est le plus important. Il y a beaucoup de formation à faire. Il faut travailler sur la formation, et sur la formation des formateurs.

Ce rapport est vu comme un outil d'aide au service de ces Eglises?

C'est tout à fait l'objectif que nous avons recherché en montrant des pratiques qui sont bonnes. Nous voulons montrer que c'est faisable, même des choses tout à fait concrètes: que faut-il mettre dans les lignes directrices? Quels sont les éléments indis-pensables? Que faut-il mettre en place pour faire en sorte que dans un séminaire, il n'y ait pas d'éléments nocifs qui rendent susceptible un futur prêtre de vouloir avoir des rapports sexuels durant leur formation?

Olivier Bonnel