Alors que l’attention médiatique se portait entièrement sur le Liban et sur la confrontation avec l’Iran, ces derniers jours l’armée israélienne a repris ses bombardements intensifs sur le nord de la Bande de Gaza, causant de nombreuses victimes civiles. C’est une situation grave qui suscite une appréhension également pour le sort de la communauté chrétienne réfugiée dans la paroisse de la Sainte-Famille, qui ne se situe désormais qu’à quelques kilomètres de l’avancée des troupes israéliennes. Certains observateurs pensent qu’il s’agit du lancement du «plan des généraux», un plan qui vise à assiéger et évacuer de manière forcée le nord de la Bande, proposé dans ses grandes lignes par un ancien général israélien, Giora Eiland, au cours d’une interview avec le journal The Times of Israël en avril dernier. Le plan a été communiqué à la Commission des affaires étrangères et de la défense du Parlement par le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, en septembre dernier. A cet égard, L’Osservatore Romano s’est entretenu avec le professeur Idan Landau, de l’Université de Tel-Aviv, qui a attentivement étudié la question et a écrit sur ce sujet dans des revues israéliennes.
Professeur Landau, pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi consiste le «plan des généraux»?
Le «plan des généraux» a été proposé publiquement en septembre dernier. Son objectif est de vider le nord de la Bande de Gaza de sa population, donc plus ou moins un tiers du total des habitants de la Bande, soit environ 300.000 personnes. Dans une première phase, l’armée israélienne informerait ces personnes qu’une semaine leur est accordée pour fuir vers le sud au travers de deux couloirs humanitaires. Dans une deuxième phase, après cette semaine, la zone entière serait déclarée «territoire militaire fermé». Ceux qui seraient restés seraient alors considérés comme des ennemis combattants et tués s’ils ne se rendaient pas. Un siège total serait ensuite imposé dans l’ensemble du territoire, intensifiant, avec l’isolement, la crise alimentaire et sanitaire.
Professeur, le plan proposé par le général Eiland a été présenté au gouvernement en avril dernier et n’a pas été entièrement approuvé. Pourquoi pensez-vous qu’il est actuellement en phase de réalisation? Quelles opérations militaires en cours le prouveraient?
Mon impression est que, malgré les démentis officiels, les militaires israéliens sont en train de mettre en place une version proche de celle d’origine. Et les soldats sur le terrain le confirment aux journalistes. De nombreux civils ont été tués ces derniers jours et le siège du nord de la Bande est en cours. Des dizaines de témoins de Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahia font état de niveaux de destruction sans précédent, de quartiers entiers rasés au sol, d’attaques visant également les refuges afin de débusquer ceux qui cherchent à se protéger. Les massacres sont quotidiens: le 29 octobre, l’armée de l’air israélienne a bombardé massivement des immeubles densément habités à Beit Lahia, tuant 250 personnes (dont la moitié se trouve encore sous les décombres). Par conséquent, je ne pense pas qu’il y ait le moindre doute sur le fait que le plan ait été lancé. En parallèle des destructions, les Forces de défense d’Israël (Idf) poussent les déplacés vers le sud. Même si nombre d’entre eux résistent et restent dans l’enclave, refusant de traverser le couloir de Netzarim, car ils craignent de ne plus jamais pouvoir revenir.
Combien de personnes sont concernées par le plan d’évacuation forcée?
Avant le 5 octobre 2024, — date estimée du début de l’opération — entre 300.000 et 400.000 personnes vivaient dans l’enclave. Aujourd’hui, il en reste environ 100.000. Mais l’Idf est déterminée à toutes les évacuer. Il est assez évident que tout cela n’a rien à voir avec l’intention déclarée de capturer les chefs restants du Hamas et de détruire leurs bases; mais le droit international humanitaire n’autorise pas ce type d’opération militaire.
Le plan prévoirait aussi, outre la pression militaire, l’interruption de ravitaillement en nourriture, en eau, en carburant et en énergie. Cela aussi irait à l’encontre du droit international humanitaire?
Permettez-moi de dire que je suis contre l’utilisation du conditionnel. Cela ne «prévoirait» pas mais «prévoit»; cela «n’irait» pas mais «va». Désormais, depuis un mois, dans l’enclave du nord de Gaza, la nourriture et l’eau ne sont plus acheminées, à l’exception d’approvisionnements limités pour l’hôpital Kamal Adwan. Toutes les agences des Nations unies et les organismes humanitaires dénoncent chaque jour une situation humanitaire catastrophique. Je crois qu’il n’y a aucun doute sur le caractère de cette opération par rapport au droit international humanitaire, et c’est pour cette raison que le gouvernement israélien a tendance à passer sous silence sa portée réelle.
A ce jour, le gouvernement israélien n’a pas exprimé de position claire et définitive sur l’ordre futur à Gaza. Pensez-vous que cette opération préétablisse un ordre futur, au moins pour le nord de la Bande?
Oui. Je pense que l’objectif final est le ré-établissement des colons. Un retour après le retrait décidé en 2005 par le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon. La coalition d’extrême-droite qui soutient le gouvernement guidé par Benyamin Netanyahou ne s’en cache pas. A commencer par le ministre des Finances, Bezalel Smotrich. Il s’agit évidemment d’un projet qui sera réalisé étape par étape. Par la présence de militaires à l’intérieur du périmètre de la Bande et des zones dites «de sécurité». Ils créeront de petites colonies justifiées par la nécessité de contrôler militairement le territoire, qui deviendront ensuite de grandes communautés comme celles de Cisordanie. Cependant, je ne pense pas que cette solution de ré-établissement de colons puisse fonctionner au sud du couloir de Netzarim, car deux millions de Palestiniens entassés dans ce ghetto à ciel ouvert n’ont nulle part d’autre où aller. Et avec le temps, ils finiront par constituer une bombe à retardement de pauvreté, de maladies et même d'extrémisme dangereux et montant.
Roberto Cetera