Table ronde à Rome sur le thème «Violences faites aux femmes et religions en Méditerranée: témoignages croisés»

Oser élever la voix

 Oser élever la voix  FRA-048
28 novembre 2024

«Si chaque femme prenait conscience de celle qu’elle est, de sa dignité, des valeurs qui lui appartiennent, et s’il y avait davantage de solidarité féminine, alors nous pourrions réaliser de grandes choses en ce qui concerne la défense et la protection des femmes»: c’est par ce vibrant appel de sœur Mary Lembo, religieuse togolaise de la Congrégation des sœurs de Sainte Catherine d’Alexandrie, auteure du livre Religieuses abusées en Afrique, faire la vérité, que s’est conclue la table ronde organisée par l’ambassade de France près le Saint-Siège dans la soirée du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. L’événement était intitulé «Violences faites aux femmes et religions en Méditerranée: témoignages croisés». Devant une assemblée constituée en grande majorité de femmes de tous âges provenant de nombreux pays, des représentantes des principales religions pratiquées sur le pourtour méditerranéen ont pris la parole pour sensibiliser à la prévention, à la défense et à la dénonciation des abus commis par des hommes dans un contexte religieux ou conjugal. Outre sœur Mary Lembo, étaient ain-si présentes Najia Kebbour, professeure d’études islamique à l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai), Salomé Parent-Rachdi et Lila Berdugo, journalistes et auteures d’un podcast sur les abus perpétrés dans la communauté juive orthodoxe en France.

L’émotion était palpable dans le grand salon de l’ambassade lorsque sœur Mary a raconté son expérience en synthétisant les témoignages de religieuses abusées par des membres du clergé en Afrique, qu’elle a pu recueillir grâce à son travail patient d’écoute, évoquant les principaux mécanismes psychologiques auxquels recourent les agresseurs. «Il arrive que les religieuses travaillent coude à coude avec un prêtre dans la gestion de la pastorale et c’est dans ce contexte que naît une relation de confiance — raconte la psychologue — mais il s’agit en réalité d’une relation asymétrique où le prêtre chargé de les aider joue un rôle de responsabilité». «Le stratagème consiste aussi à recourir au registre de la familiarité, de l’intimité», explique-t-elle, «et rapidement cela conduit à des tentatives d’approches, d’attouchements et même de viols». Enfin, les agresseurs interprètent le silence des victimes — sidérées et confuses — comme un consentement, rappelle la religieuse.

Les thèmes de la — difficile — reconstruction psychologique et de la perte ou non de confiance dans les institutions religieuses et civiles ont aussi été abordés par la sœur togolaise — mais aussi par les autres participantes et par l’assistance. «Il y a celles qui abandonnent leur communauté, et celles qui continuent — a rapporté sœur Mary — c’est une vie très difficile dans le contexte de la vie communautaire, mais elles se battent, pour la plupart c’est la foi dans leur vocation et leur engagement qui leur a permis de continuer à vivre».

Un autre thème abordé par les intervenantes a été celui de la «silenciation» — néologisme qui parlait à toute l’assistance — que subissent les femmes, de la part tant des agresseurs que de la communauté des croyants. Il n’est pas toujours évident pour les victimes de se faire entendre, surtout dans des contextes où les personnes impliquées, prêtres, imams ou rabbins, bénéficient souvent d’une respectabilité difficile à remettre en cause. La communauté des fidèles se trouve ainsi parfois hébétée en apprenant les crimes commis par un homme de foi qui avait toute sa confiance. L’inertie des tribunaux — ecclésiastiques ou rabbiniques — a quant à elle également été mise en cause.

Le courage d’élever la voix peut donc ne pas suffire. Mais c’est un premier pas nécessaire. C’est pourquoi sœur Mary a voulu rendre hommage «à toutes celles qui osent parler malgré tout: elles sont notre force, elles nous encouragent à persévérer dans notre combat».

Charles de Pechpeyrou