A l’occasion de la 58e Journée mondiale de la paix, en cette année jubilaire le Pape François reprend l’appel, lancé par saint Jean-Paul ii lors du Jubilé de l’an 2000, à penser à une «réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations». Il nous rappelle que «nous sommes tous débiteurs» envers Dieu et «les uns envers les autres», et que «les biens de la terre sont destinés non seulement à quelques privilégiés, mais à tous».
La question n’est pas mince. De fait, selon la Banque mondiale, en 2023 les pays en développement ont payé 1.400 milliards de dollars pour le service de leur dette extérieure. Parmi eux, les plus pauvres ont sorti 96,2 milliards de dollars, dont près de 35 milliards pour les seuls intérêts.
Mais au fond, qu’est-ce qu’une dette? En termes financiers, sa caractéristique est d’être exigible, c’est un engagement juridique à rembourser. Cela repose sur la confiance que le créancier (d’où ce mot) a mis dans le débiteur, et on est tenu d’honorer ses dettes. Mais il peut aller au tribunal en exiger le paiement. C’est donc une contrainte pour le débiteur, à la différence du don, mais aussi de l’investissement en fonds propres.
Inversement, si une entreprise viable est en difficulté, et ne peut rembourser, on peut avoir à restructurer ses dettes, voire à les abandonner pour lui permettre de vivre. Donc même l’activité économique courante prévoit la possibilité de remise en cause des dettes existantes. Un pays, lui, ne court pas le risque de disparaître ainsi, mais il en court un autre: voir ses citoyens souffrir d’un héritage qui pèse trop. Donc là aussi une restructuration a tout son sens, et au-delà, un abandon.
Rappelons encore que plus largement la dette est un fait majeur de la condition humaine: nous avons reçu l’essentiel de ce que nous avons et de ce que nous sommes, et nous sommes tenus de donner en retour. Mais ce ne sera jamais à la hauteur; en un sens nous sommes donc des endettés insolvables, notamment envers le Créateur. C’est ce que nous rappelle aussi le double texte du Notre Père: pour un évangéliste, nous y demandons de remettre nos dettes; pour l’autre, nos péchés ou offenses. Et dans les deux cas il nous est d’abord demandé de faire de même envers nos frères. Dit autrement, nous avons beaucoup à nous faire pardonner ou remettre, et nous devons faire de même aux autres, comme le Saint Père nous le rappelle. Et ce qui vaut pour les personnes vaut pour les communautés humaines.
Mais la même raison qui nous conduit à remettre ces dettes nous amène aussi à continuer à prêter, car prêter fait partie de ce mouvement de solidarité et de partage qui est la contrepartie de ce que nous avons reçu et recevons. Comme nous le rappelle l’évangéliste (Luc, 6, 35) «aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants».
Pierre de Lauzun