Se tenir toujours aux côtés des plus démunis — 80% de la population de l’île vit sous le seuil de pauvreté — et miser sur l’avenir en articulant principalement son apostolat autour des jeunes et de l’éducation. Telle est en quelques mots la feuille de route de l’Eglise à Madagascar que dépeint pour notre journal Mgr Marie Fabien Raharilamboniaina, évêque de Monrodava et président de la Conférence épiscopale, tandis que le pays ne parvient pas à sortir d’une crise politique et économique où règnent la corruption et l’instabilité. Une Eglise minoritaire, certes, dans un pays à majorité animiste, mais en pleine croissance et qui peut se féliciter de la hausse constante des baptêmes et des vocations.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours, votre vocation et nous expliquer quelles sont vos fonctions?
Ce qui a forgé ma vocation religieuse sont deux événements tragiques survenus en 1985. D’abord, la décapitation du père Sergio Sorgon, fondateur des Pères Carmes à Madagascar près de Moramanga. Puis, il y a eu la mort soudaine de mon frère aîné, séminariste. Le père Sergio Sorgon était son confesseur. Le 5 juillet 1997, jour anniversaire de la mort de mon frère, j’ai été ordonné prêtre dans la paroisse même où le père Sergio avait été curé au moment de son assassinat. Ce choix de la date et du lieu de mon ordination a une forte signification pour ma vocation carmélitaine et sacerdotale. Ensuite, j’ai été envoyé à l’île Maurice, puis en 1999, à l’île de La Réunion pour une nouvelle fondation d’une communauté de Carmes, tout en étant curé-
doyen de la paroisse Saint-Louis. Puis en 2005, j’ai été élu commissaire des Carmes et Carmélites de Madagascar et de l’Océan indien. En 2010, j’ai été nommé évêque de Morondava par le Pape Benoît xvi et j’ai découvert mon diocèse le jour de mon ordination épiscopale. Situé sur la côte sud-ouest de l’île de Madagascar, ce diocèse de 43.000 km² avait une population de 700.000 habitants, dont 41.000 catholiques. Depuis ma nomination, j’ai constaté les immenses défis à relever, notamment par l’évangélisation et l’éducation. En effet, 80% des habitants du diocèse étaient animistes (religion traditionnelle).
Depuis 2021, j’ai été élu pour deux mandats successifs, président de la Conférence épiscopale de Madagascar.
Vous avez été reçu récemment par le Pape François: quel message avez-vous voulu lui transmettre? Comment a-t-il réagi?
Nous partageons une commune vénération pour sainte Thérèse de Lisieux. Lors de notre rencontre en 2014, à l’occasion de la visite ad limina à Rome, j’ai proposé la canonisation des parents de sainte Thérèse. Le Pape François m’a remis alors une prière à sainte Thérèse pour cette intention et m’a dit de lui demander de m’aider. A ma surprise, un miracle a été reconnu l’année suivante, ce qui a permis leur canonisation durant le Synode des évêques sur la famille, en 2015. En 2019, mes confrères évêques m’ont élu comme coordinateur national de la visite du Pape à Madagascar, une expérience qui m’a permis de mieux comprendre sa vision de l’Eglise. Son insistance sur une Eglise en sortie, proche des exclus et des marginalisés, résonne particulièrement dans notre mission à Morondava. Je lui ai également parlé de notre bienheureux Lucien Botoasova, et de notre demande de sa canonisation, ainsi que de la possible reconnaissance du martyre du père Sergio Sorgon.
Enfin, en 2024, j’ai remercié le Pape pour la nomination des évêques pour les diocèses qui étaient vacants depuis plusieurs années, et pour la qualité de la collaboration entre le nonce apostolique, Mgr Tomasz Grysa, et tous les évêques.
En conclusion, la vision ecclésiologique du Pape François, «Joie de l’Evangile, Eglise en sortie», m’a aidé à faire face à la mission évangélisatrice dans mon diocèse.
Quelle est la situation globale actuelle à Madagascar? Quels sont les défis? -Voyez-vous une issue face aux nombreux problèmes que le pays doit affronter?
Madagascar est un pays riche en ressources naturelles — forêts, terres fertiles, mer poissonneuse, minerais... — mais 80% de la population vit dans la pauvreté. La corruption est la principale cause de cette situation. Elle creuse un fossé grandissant entre une minorité riche et une majorité extrêmement pauvre et la guerre civile nous menace. Il est urgent que les dirigeants tirent les leçons de l’histoire et cessent de répéter les erreurs du passé. Par exemple, nos dirigeants construisent des terrains de football au lieu de cons-truire des écoles, réparer les barrages hydrauliques, les routes défoncées et fournir les hôpitaux en médicaments. Ils se trompent de priorités et de cible. Certains gendarmes, maires et même députés sont complices des kidnappings et d’attaques à main armée. C’est scandaleux! Le vrai problème est que le peuple, par manque de confiance, ne va plus voter, ce qui donne l’accès au pouvoir des corrompus, alors que seul un nombre important de votants peut empêcher la manipulation des résultats aux élections. Nous avons écrit une lettre et j’ai eu un entretien privé avec notre président de la République pour dénoncer cette situation. Notre appui est la sagesse et le bon sens de notre peuple. Nous cherchons à être proches des pauvres. Il nous faut cultiver une confiance mutuelle entre le peuple et nous, dans la vérité et dans la lutte contre les adversaires du développement. Et notre issue est l’éducation citoyenne. Nous avons 600.000 enfants dans nos écoles catholiques à Madagascar. Ils sont le sel et la lumière de la génération future.
Quel est le visage de l’Eglise aujourd’hui à Madagascar? Comment la caractériseriez-vous? Quels sont ses points forts?
L’évangélisation par l’éducation est notre priorité pastorale. Seulement 30% des enfants sont scolarisés, et ce chiffre chute à moins de 3% dans les villages isolés. Pourtant, notre population est majoritairement jeune, avec 70% de moins de 30 ans. Nous avons invité plusieurs congrégations religieuses masculines et féminines, spécialisées dans l’éducation. Nous sommes passés de 10 à 48 congrégations. Cela a transformé notre mission évangélisatrice.
En 2010, nos écoles catholiques accueillaient environ 7.000 enfants. Aujourd’hui, ce chiffre dépasse 34.000. Ces enfants sont devenus des missionnaires, partageant leur joie de croire et de découvrir la vie en communauté. Nos écoles sont des lieux d’apprentissage de la coexistence, particulièrement cruciaux dans les villages parfois rivaux. Nos enseignants et enseignantes sont aussi des catéchistes. Grâce à cet élan, les baptêmes sont passés de 300 à 3.000 ou 4.000 par an. Nous avons également observé une augmentation des vocations religieuses, avec 80 séminaristes, 40 prêtres diocésains et 45 prêtres religieux.
Ainsi, le Pape a nommé en 2023 un évêque auxiliaire jeune et dynamique pour mon diocèse, en la personne de Mgr Jean Nicolas Rakotojaona. Certes, notre diocèse peut sembler modeste avec actuellement ses 90.000 catholiques, mais nous avons fait cette demande au Saint-Père non seulement pour ceux qui sont déjà baptisés, mais surtout pour ceux qui ne le sont pas encore, et qui demeurent en dehors de l’Eglise. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui sont ouverts à l’Evangile.
Dans l’île de Madagascar, l’Eglise est jeune et en pleine croissance. Sur les 22 diocèses de Madagascar, dix célèbrent en 2024 leurs 70 ans d’existence. Cela se reflète dans la forte implication des congrégations religieuses et des communautés de base dans les régions isolées et appauvries. Dans le centre de l’île, sur les hauts plateaux, l’Eglise est bien implantée. Maintenant, il nous reste à renforcer et élargir l’Eglise sur la côte de l’île de Madagascar, là où la pauvreté est extrême car les villages sont particulièrement enclavés, sans route ni piste.
Plusieurs congrégations prennent le risque de se lancer dans la mission sur les côtes de Madagascar. Elles sont présentes malgré les moyens très limités, mais l’essentiel est le don de soi, le partage et la compassion avec la population. Ainsi, l’Eglise des diocèses des côtes de l’île nous donne l’espérance, et les nouveaux évêques nommés viennent de ces régions. Ces derniers sont jeunes et dynamiques et grâce à leur jeunesse, à la suite de leurs aînés, ils sont la clef de l’avenir de l’évangélisation car ils acquièrent peu à peu une vision lointaine et élargie des défis à relever.
Nous constatons également que les laïcs catholiques malgaches se sentent responsables de l’Eglise locale et des congrégations religieuses masculines et féminines. Nous sommes aussi très reconnaissants aux missionnaires qui accompagnent les provinciaux et provinciales des congrégations Malgaches. En effet, nous avons déjà des congrégations qui sont nées à Madagascar et qui essaiment dans l’île et à l’extérieur. Ces toutes jeunes congrégations ont des religieuses et mères générales malgaches. Il est important de noter que des diocèses qui ont plus de prêtres diocésains, les envoient dans les diocèses de la périphérie.
Aussi, les recteurs des séminaires sont presque tous des prêtres malgaches. Il est également important de souligner que l’Eglise organise des rassemblements interdiocésains que nous appelons «les Jmj Mada», (les Journées mondiales de la jeunesse de Madagascar), «la J ne » (la Journée nationale des enfants), «la Jna» (la Journée nationale des adultes). En outre, en juin 2024, nous avons vécu le Congrès eucharistique à l’extrême nord de l’île de Madagascar. C’est un signe que l’Eglise cherche l’union avec tous les Malgaches, au-delà des tribus, dans le Christ.
L’aspect financier est un autre défi pour l’évangélisation, notre Eglise est composée essentiellement de pauvres. Ainsi, notre manière de vivre l’Evangile est par la compassion et la pauvreté. Nous faisons quotidiennement l’expérience de la Providence. Les pauvres sont généreux par leur don de soi et la solidarité universelle nous aide aussi d’une manière providentielle pour notre mission évangélique.
Ainsi, l’histoire de l’évangélisation à Madagascar est marquée par la prise de responsabilité missionnaire des laïcs et religieux. Il y a ce visage de l’Eglise synodale et missionnaire, qui dès le début est perçue comme une exigence pastorale et finalement, elle est notre manière de former l’Eglise à Madagascar. Le Synode nous confirme dans notre identité ecclésiale. C’est la force de notre mission.
Quels sont les principaux champs d’action?
Le principal champ d’action pour l’avenir est l’évangélisation, qui reste au cœur de notre mission. Nous développons la dévotion populaire tout en évangélisant car cela correspond à la soif de notre peuple. Chaque diocèse a son lieu et sa date de pèlerinage. C’est un aspect important de l’évangélisation. Nous visons aussi une éducation intégrale, qui touche les enfants, les parents et les enseignants. Cette éducation intégrale liée à notre mission, nous pousse avant tout à évangéliser plus par la prière et notre témoignage de vie, que par l’enseignement verbal.
D’autre part, notre Conférence épiscopale est riche en commissions épiscopales. Cela signifie que nous cherchons à évangéliser les différents domaines de la vie humaine. Par exemple, un des programmes de la créativité d’une des commissions épiscopales est l’Education à la vie et à l’amour (Eva) qui a pour but l’éducation du cœur qui forme la personnalité des enfants. Nous organisons un symposium national sur ce sujet en 2025. Nous cherchons aussi à renforcer notre identité synodale et missionnaire. Aussi, nous continuons à collaborer avec d’autres diocèses pour encourager l’échange de dons et de ressources ainsi qu’avec les autres Eglises chrétiennes avec lesquelles nous vivons quotidiennement l’unité dans la diversité des religions. Enfin, l’Année jubilaire qui a pour thème «Pèlerins d’espérance», nous aide beaucoup à être courageux, à aller de l’avant, à être témoins de l’Espérance.
Il y a quelques mois une délégation de la Conférence épiscopale française est venue vous rendre visite en signe de soutien. Qu’avez-vous retenu de ce moment?
Nous avons invité le président de la Conférence des évêques de France, et c’était la première fois, à ma connaissance, qu’un président de Conférence épiscopale venait à Madagascar. Il a rencontré les membres de notre propre Conférence épiscopale pour partager les joies et les défis de l’Eglise en France. Cela a renforcé notre foi et notre unité. Il a également mentionné le nombre croissant de baptêmes en France, un signe d’espérance qui ne découle pas d’un plan stratégique, mais de l’action de l’Esprit Saint. La réouverture de Notre-Dame de Paris, par exemple, est un symbole fort de cette renaissance.
Par ailleurs, la question des abus a été abordée avec beaucoup d’humilité, ce qui attire la confiance des fidèles. La délégation française a aussi participé à l’ordination épiscopale de Mgr Jean Claude Rakotoarisoa, un moment marqué par la présence de 40.000 personnes, dont une majorité de jeunes. Cela a été l’occasion de rappeler que l’Eglise malgache est le fruit du dé-vouement des missionnaires français, comme saint Jacques Berthieu. Aujourd’hui, certains de nos prêtres vont à leur tour en France pour évangéliser, fermant ainsi une belle boucle missionnaire.
Des collaborations entre nos diocèses, notamment dans la formation religieuse et laïque, se mettent en place, parfois aussi des jumelages avec des diocèses de France. Enfin, des associations diocésaines ou laïques françaises nous soutiennent, surtout dans le domaine humanitaire. Comme le Pape nous l’a rappelé, «personne ne peut vivre seul sans les autres», un principe que nous appliquons également dans nos relations entre diocèses.
Charles de Pechpeyrou