Une Eglise à l’écoute au-delà des mots

 Une Eglise à l’écoute au-delà des mots  FRA-001
10 janvier 2025

Professeur à l’Institut d’études religieuses
de l’Université de Montréal

Le synode sur la synodalité qui s’est achevé à Rome a accordé une place importante à l’écoute. L’écoute qui marque les relations humaines individuelles, communautaires, interculturelles et interreligieuses y a été déclinée dans sa diversité irréductible comme une écoute de la Parole de Dieu, du Peuple de Dieu, des autres, de soi, de la nature, du monde et des signes des temps. Avec leurs acceptions multiples, la disposition à prêter attention et la posture de l’écoute ont été appliquées à l’Eglise entendue à la fois comme ensemble des fidèles et institution. Les contours d’une Eglise à l’écoute et en écoute ont été précisés comme attenants à une Eglise en sortie. La question est alors de savoir comment, au-delà des mots, l’écoute s’inscrit dans la réalité ecclésiale.

On en convient aisément, une Eglise à l’écoute ne se décrète pas. Cela requiert des apprentissages que le dominicain français Hervé Legrand qualifie de complexes (rédiger une loi électorale, établir des procédures pour encadrer les débats et les votes, assurer l’information de tous, apprendre à gérer les conflits, encourager une culture de la décision par le consensus et une plus grande interactivité entre les chrétiens…). De tels apprentissages dépendent de plusieurs facteurs qui varient d’une Eglise à l’autre, d’un contexte culturel et socio-ecclésial à l’autre. Pour une Eglise locale, ils ne devraient pas venir d’un autre lieu géographique. Il est sur ce point important pour les Eglises locales d’entamer la phase de réception du Synode sur la synodalité en recueillant les germes porteurs de changement, susceptibles de générer demain des dispositifs ecclésiaux renouvelés, articulés essentiellement autour d’une écoute efficace et la participation plus grande de tous dans la vie de l’Eglise.

A la fois gabe (don) et aufgabe (tâche), l’Eglise à l’écoute est appelée à revivifier les interactions des différents acteurs du champ ecclésial. Ce qui devrait éloigner de toute vision abstraite de l’Eglise, idéalisée sans contact avec la réalité historique et concrète, et dont les structures n’existent que dans un sens idéalisé, sans imprégnation de la réalité observable.

Bien évidemment, l’énoncé «l’Eglise à l’écoute» est une assertion plus programmatique que performative. Il convient d’en découdre le tissu et d’en donner à voir les conditions de réalisation. Celles-ci ne se réduisent pas à l’apport certes irremplaçable de la théologie, mais s’éclairent aussi par la contribution des sciences humaines et sociales. Et sur ce point, il n’est pas possible de faire l’économie de l’interdisciplinarité. Dans un passage de l’Evangile de Jean, Jésus affirme: «Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé; il pourra entrer; il pourra sortir et trouver un pâturage» (Jn 10, 9). J’y vois une indication de cette liberté constitutive d’une écoute responsable qui fait sortir de l’enclos, permettant ainsi de pérégriner sans cesse dans les marges et les périphéries existentielles. Une écoute qui sort de la zone de confort et fait courir le risque de l’inouï, de l’inattendu, de l’inimaginable, c’est celle dont la transhumance constante — qui n’est pas une errance — fait sortir du déjà dit, du déjà fait, et pour reprendre le Pape François, du «on a toujours fait -ainsi» (Evangelii gaudium, n. 33).

L’audacieuse créativité qui caractérise l’écoute de cœur (1R 3, 9) devrait renouveler la pastorale et la sortir des structures aseptisées acquises une fois pour toutes. Elle devrait se modeler sur le Dieu d’Israël, Ecoutant et Ecouté. Tel est le cœur d’une écoute qui accompagne la parole et porte les germes de l’action.

A l’heure des casques audio, ces appareils qui amplifient les sons pour une écoute optimale, susceptible de satisfaire l’usager sans déranger son entourage, il est bon d’être attentifs aux limites d’une écoute en Eglise qui isole, ferme dans un soliloque et enferme dans l’autosatisfaction.

Cela dit, pour conjurer le danger d’une Eglise close, isolée, enfermée en elle-même, et rechercher en revanche une Eglise, se pose la question de la réforme des structures. En con-séquence, d’une façon ou d’une autre, pour inscrire la synodalité dans la réalité, l’appel à l’apostolat de l’oreille qui con-solide la fraternité et la convivialité se double d’un ensemble d’ouvertures, qui sont autant de requêtes pour le renouveau des structures ecclésiales. On pourrait alors avancer qu’outre l’écoute du droit canonique pour institutionnaliser la synodalité, s’impose l’écoute des sciences humaines et sociales pour recueillir une lumière sur les conditions de l’articulation entre la parole et l’écoute, du lien entre écoute et action. La mise en œuvre des institutions synodales qui renouvellent les rôles et les fonctions des laïcs et des prêtres requiert de définir pour aujourd’hui et demain des processus concrets enracinés dans une expérience spirituelle et ecclésiale authentique. Il suit de là l’exigence de s’accommoder des structures renouvelées, de redéfinir les objectifs réalisables et de réorienter les structures de gouvernement, ses mécanismes et ses rapports avec la société et dans l’Eglise. Il y a là sans doute une situation suggestive en théologie: l’ajustement doctrinal appelle inéluctablement un ajustement institutionnel.

En cela, il devient impossible de passer outre l’écoute du sang du frère (Gn 4, 8-12). Il devient nécessaire d’écouter aujourd’hui les cris qui jaillissent de Gaza, de l’Ukraine, du Soudan et de l’Est de la République démocratique du Congo. Comment la communauté de parole et d’écoute appelée désormais à devenir une Eglise synodale entend-t-elle le cri des victimes innocentes des puissances punitives néolibérales? Agit-elle en conséquence? Comment développer la sollicitude ecclésiale et l’action des fidèles dans une Eglise synodale toujours en devenir? Ces questions et d’autres qui peuvent émerger des marges sont à entendre, car pour les fidèles qui sont l’Eglise, il en va bien ici, de ce que Jésus dit à la foule et qui devrait accompagner la phase de réception du synode sur la synodalité: «Faites attention à la manière dont vous écoutez» (Lc 8, 18).

Ignace Ndongala Maduku